mercredi 15 juillet 2020

ICI ON TUE DES ENFANTS

Nora a juste 7 ans. Dans son territoire enclavé, elle n’aperçoit pas la mer, car, pour cela, il faut passer la guerre, mais aussi les snipers. Il faut risquer sa vie, et elle est minuscule sa vie, toute en retenue, elle est bien peu de chose. Nora a un rêve un peu dérisoire, voir l’eau bleue de l’océan, c’est sa manière de résister, et puis, dans la mer, il y a des dauphins, l’animal magique de liberté. Pourtant, la petite fille ne regarde pas du côté de l’Occident, car l’exil lui serait encore plus insupportable que la guerre.

Voir la mer, un rêve impossible. Regardez-la bien cette petite Antigone, marchant dans les rues détruites par les obus, et courant jusqu’à ce qu’elle tombe parterre. Pour franchir cette ligne, le plus difficile c’est le bateau, des embarcations qui ne sont pas en bon état et dont les coques sont en bois. Il arrive que parfois l’une d’elles vogue vers la liberté. Pour la France, le pays où tout est possible. Mais, Nora ne sait pas nager, pas grave lui dit le meilleur ami de son cousin qui connaît le pays de Jean-Jacques Rousseau, et lui dit que la liberté en France c’est mieux que n’importe où, ici.

Ce matin, lorsqu’elle sort de son taudis, elle est rassurée, la lumière est pâle et la ville dort. Aucun bruit dans les rues, aucun tir de Kalash, pas encore de marchands, seule une voiture, à la mécanique frileuse, livre quelques morceaux de pain rassis. Un chien errant passe. Il semble que le monde se soit arrêté à cet instant. Chaque chose dans la poussière est à sa place, et elle, est à la sienne. En marche sur son chemin, résolue avec dans son sac à dos un lot de biscuits pour sa nourriture des prochains jours, je suis invisible se dit-elle, car les morts sont invisibles. Je suis une petite fille de sept ans, et les enfants morts ne grandissent pas et ne meurent pas.

Mais, avant la porte de la ville, ses cheveux ont commencé, tout d’abord, à prendre feu, puis ses yeux se sont calcinés, et ensuite, comme une poignée de cendres, son corps s’est éparpillé au vent, et elle entend encore le rire des soldats. C’est loin la France ! Si loin, que parfois des enfants brûlent pour l’atteindre. Ici on tue les enfants qui veulent seulement manger des friandises.

Anonymode